Jan Garbarek : saxophone ténor, saxophone soprano
Anouar Brahem : oud
Ustad Shaukat Hussain : tabla
Sull lull
Madar
Sebika
Bahia
Ramy
Jaw
Joron
Qaws
Epilogue
Contexte
Evoquant l'une des représentations que le trio donna à ses débuts, l'écrivain Wolfgang Sandner mettait en évidence un détail intéressant, à savoir que le virtuose tunisien de l'oud qu'est Anouar Brahem est aussi étranger à la musique arabe, telle qu'elle est jouée traditionnellement dans son pays, que l'est le saxophoniste norvégien Jan Garbarek à l'égard du courant jazz traditionnel. Brahem et Garbarek sont tous deux d'un naturel très indépendant : des étrangers musicaux l'un pour l'autre qui se retrouvent ici sur un pied d'égalité et qui se font accompagner, sur certains morceaux de cette production intrigante et souvent palpitante, du maître pakistanais des tablas qu'est Ustad Shaukat Hussain.
Garbarek avait été intéressé par le premier album de Brahem, sorti sur le label ECM, et intitutlé Barzakh, et voulait travailler avec lui. Un premier enregistrement d'essai fut donc organisé, et le courant passa aussitôt entre les deux musiciens.
Anouar Brahem est vraiment un musicien moderne, mais sa manière de jouer n'en demeure pas moins empreinte d'une connaissance profonde de la vraie musique arabe traditionnelle, par opposition à celle, plus conservatrice, que l'on réserve aux touristes. C'est dans sa ville natale de Tunis que Brahem, parvenu à la fin de ses études au conservatoire national, prit des cours, jour après jour, quatre années durant, avec Ali Sriti, le maître de l'oud. Puis il décida d'approfondir systématiquement ses connaissances, en se plongeant dans la découverte d'autres genres d'expression musicale, notamment toutes les musiques originaires du bassin méditerranéen, la musique iranienne, la musique du sous-continent indien… et enfin le jazz. Anouar Brahem eut le sentiment qu'un "lien profond" unissait toutes ces formes musicales, et il était bel et bien déterminé à les explorer d'avantage. Alors qu'il vivait à Paris, au début des années 1980, il découvrit Keith Jarrett par l'entremise de l'album Facing Youet fut très excité par les improvisations du pianiste où il perçut des "accents andalous". De plus amples investigations discographiques firent de Brahem un aficionado de tout le catalogue d'ECM. Aussi, quand il enregistra Barzakh, en 1990, connaissait-il parfaitement toute l'histoire de cette maison de disques et de ses musiciens. Parmi eux figurait Jan Garbarek, qu'Anouar considérait comme l'une des références en matière d'improvisation.
Les tendances "transculturelles" de Jan semblent remonter à son choix, purement fortuit, de prendre John Coltrane pour exemple, et à son association, au milieu des années 1960, avec Don Cherry, un musicien sans cesse à la recherche des traces d'un héritage musical universel. Depuis ce temps-là, Garbarek a bien évidemment entrepris plusieurs dizaines d'incursions dans d'autres styles musicaux, jouant, par exemple, avec le guitariste Egberto Gismonti, le violoniste hindou Shankar, la compositrice et pianiste grecque Eleni Karaindrou, et avec le chanteur pakistanis Ustad Fateh Ali Khan, tout en reconnaissant les qualités exotiques inhérentes à la musique norvégienne folk, devenue l'un de ses domaines de prédilection. Et Garbarek de déclarer au sujet des influences perçues dans la chanson folklorique norvégienne qui a, selon lui, "un son moyen-oriental, turc ou arabe" : "C'est vraiment quelque chose qui me fascine, ce lien qui unit les musiques norvégienne et indienne, en passant par les Balkans et l'Asie mineure…"
Il est donc facile d'en conclure que Garbarek et Brahem se sont tous deux lancés, chacun à leur façon, dans des quêtes similaires, parvenant même à diffuser les musiques de leurs terres natales respectives dans le monde entier. Chacun d'eux estime également qu'une tradition folk, qui, au fil des ans, ne change pas et ne s'adapte pas, est vouée à disparaître. C'est pourquoi ils n'ont pas eu la moindre réticence à ouvrir leurs propres expressions culturelles au défi proposé par de nouvelles formes d'expression. Ainsi, Sull Lull, une mélodie norvégienne traditionnelle, est-elle sublimée, sans doute pour la toute première fois, grâce à l'apport des sonorités de l'oud arabe et des tablas d'Inde du nord, qui lui semblent en définitive parfaitement appropriées. Bien évidemment, de telles rencontres reposent entièrement sur la sensibilité des participants. Garbarek, quant à lui, préfère limiter son rôle prépondérant à celui d'un ethno-musicologiste savant muni d'un saxophone : "Ces rencontres interculturelles, appelez-les d'ailleurs comme vous voulez, commencent toujours, pour moi, par l'établissement d'une relation avec un musicien précis. Si des liens d'amitié et une compréhension sincère s'instaurent entre nous, alors il y a de grandes chances pour que l'on fasse de la musique ensemble."
Shaukat Hussain, joueur d'oud âgé de 74 ans, s'était déjà révélé un accompagnateur des plus sympathiques sur Ragas And Sagas (ECM 1442) ; et sa présence sur Madar fournit la suite logique entre ces deux projets très intimistes, même si le courant émotionnel qui règne sur ce dernier disque est vraiment très différent. Ustad Shaukat Hussain interprète aussi ici un solo absolument charmant sur l'une de ses propres compositions intitulée Jaw.
La chronique faite dans le magazine américain Option de Conte de l'Incroyable Amour, l'album d'Anouar Brahem (sorti sur ECM, 1457), affirmait que "la présence artistique de Brahem était tellement éclatante qu'il pouvait parfaitement partager la vedette, ou même la céder entièrement de temps en temps, et rester quand même le centre d'intérêt musical. La subtilité et la nuance de son jeu, ainsi que sa forme dramatique sous-jacente, méritent que l'on y prête une oreille." L'album Madar ne renferme pas la moindre compétition entre les musiciens. L'assurance des interventions de Brahem, la grâce de son phrasé, l'éclat parfait de chaque solo encouragent une réponse chaleureuse du saxophone de Garbarek, le ténor en particulier, et quelques interprétations époustouflantes. En un mot, Madar recèle des performances majestueuses de chacun de ses participants parfaitement à l'unisson.
Réactions de la presse
[...] Garbarek, Brahem et Hussain proposent neuf motifs à méditation transcendantale [...] Grand moment de sérénité subtile [...] Il doit être possible de vivre en compagnie de ce seul disque.
[...] Modale, terriblement modale ; lyrique, terriblement lyrique ; virtuose et aérienne, terriblement : la rencontre de Garbarek, Brahem et Hussain porte le numéro 1515 au catalogue ECM. L’Histoire a de ces détours...
[...] Garbarek, Brahem et Hussain tissent ensemble un tapis de sons intimistes où le silence a sa place, où les fils se dénouent, se distendent puis se rejoignent de nouveau. Ces trois là savent s’écouter et se répondre avant de s’assembler. Nulle profusion dans leur musique, mais un grand dépouillement. Le sax ténor ou soprano de Garbarek emprunte à l’Orient son lyrisme. Le oud de Brahem se teinte de syncopes jazzy ou de vélocité flamenque. Les sonorités métalliques du tabla de Hussain complètent magnifiquement la douceur veloutée du oud et du sax. Leur swing léger vogue de sautillantes ballades en méditatives promenades [...]
Jan Garbarek délivre des bolées d’air pur dans MADAR. Depuis longtemps, il a les oreilles tournées vers les étoiles, les déserts, les steppes... et le jazz. Il épanche ici la clarté de son saxo chantant. Jeu d’ombre et de lumière, subtilement décliné avec le virtuose tunisien du oud, Anouar Brahem, et le vétéran pakistanais des tablas, Shaukat Hussain. Ils distillent une douceur d’aube, des notes roses et bleues, des rythmes d’ocre aux senteurs de sable, des rêves de ragas... Et un lyrisme saisissant.
[...] It is as though the music that they are creating together is, in a way, an underground river which resurges all of the sudden, the incarnation of musical impulses coming from ancient generations, and the unconscious is thus conserved. Only now, it is a new audible after the instrumental technique and the sincerity of the musicians becomes so developed that it launches a memory of common things long ago forgotten. Jan Garbarek picks-up melodies which for him are foreign and transforms them as a sleepwalker walking barefoot on the burning coals of Arab and Indian music. And Anouar Brahem inserts himself in the long phrases of Garbarek’s saxophone. It is so calm and supreme that it seems that the Tunisian man, stretched-out on his divan, has gone much further than most musicians of jazz affairs in their quest of new music.
[...] Here you have three musicians who improvise and transgress all the traditions which they have been issued, always guarding a conscience of their origins as something fundamental. The result is an exchange by three among continents, a particular celebration whose reason is the great mutual respect and intelligent and sensitive concertation. Of cultures which disconcert and master us.
[...] A world of sound which fascinates and side-tracks. Hypnotizing music which, from the begining to the end, from solo to duo to trio, bewitches us and raises us above the fray [...] In MADAR, the foreign cultures do not only flirt with each other, they meet, communicate and melt together.
[...] Jan Garbarek has created an absolutely original aesthetic of quietude. Anouar Brahem masters just as well the excellent art of the pause, the art of saying a lot with very little sound [...] Inspired improvisations, of great music, important, timeless and placeless.
[...] One of Garbarek’s most interesting albums to date [...] Brahem on oud, and Hussain’s tabla drums provide Garbarek with some stimulating interaction [...] Sull Jull and Joron have bite and depth.
Distinctions
Choc de l'année, "Le Monde la Musique" (France)
CD des Monats, "Stereoplay" (Allemagne)
Les meilleurs enregistrements de l'année, "Stereoplay" (Allemagne)