Le pas du chat noir

Sorti le 09.09.2002
ECM 1792
Artistes invités

Anouar Brahem : oud

François Couturier : piano

Jean Louis Matinier : accordéon

Pistes

Le Pas du chat noir

De tout ton cœur

Leila au pays du carrousel

Pique-nique à Nagpur

C'est ailleurs

Toi qui sais

L'arbre qui voit

Un point bleu

Les ailes du Bourak

Rue du départ

Leila au pays du carrousel, var.

Déjà la nuit

Avec "Le Pas du Chat Noir", Anouar revient avec un disque surprenant et très personnel, son plus beau peut-être. En trio encore, mais cette fois en compagnie du pianiste François Couturier et de l’accordéoniste Jean-Louis Matinier, il nous livre une musique apaisée, d’un raffinement de timbre extrême, tout en équilibres. L’interprétation des musiciens est d’une vigilance extrême pour les nuances, les tempos et pour l’équilibre entre tensions et chutes internes qui participent à l’élaboration de l’univers fragile de cette musique. Ce disque, par ses influences diverses — le jazz, le classique, les traditions  orientales et méditerranéennes —, nous plonge dans un univers poétique et culturel délicieusement composite.

Contexte

C'est sur les touches d'un piano que ces musiques ont surgi. Encore sous l'effet de la forte émotion de la rencontre et de l'épuisement qui a suivi l'enregistrement de "Thimar", j'ai délaissé le oud pendant plusieurs mois, ce qui ne m'était jamais arrivé auparavant. Comme si cette musique venait de là, du vide de cette pause. Comme si elle était l'expression même de ce manque.

Je ne suis pas parti avec l'intention d'écrire pour le piano. Il a juste remplacé le oud. En fait, j'ai utilisé le piano comme un instrument d'écriture modale. J'ai toujours eu un piano dans mon atelier. Manfred Eicher, à qui j’avais fait écouter quelques premiers thèmes, m’a vivement encouragé à poursuivre en vue d'un enregistrement. J’ai composé d’autres pièces. Toujours pour piano seul. Il en était le personnage central, l'unique protagoniste. C'est seulement plus tard que le oud est intervenu. Petit à petit, il a rejoint le piano, discrètement d'abord, puis il a pris sa place. Par contre, l'idée d'intégrer l’accordéon a mis beaucoup de temps à s'imposer, alors qu'aujourd'hui, elle me semble une évidence. Il est comme le chant intérieur de cette musique.

Je voudrais remercier en particulier François Couturier, mon ami et complice de longue date, ainsi que Jean Louis Matinier, qui ont travaillé inlassablement pour transmettre l’univers de cette musique avec, dans leur interprétation, une vigilance extrême du respect des nuances et des tempos, et de l'équilibre entre tensions et chutes internes. Un tempo qui m'a été insufflé par le balancement d’un arbre que je voyais de ma fenêtre, bercé par un vent léger.

Anouar Brahem

 

Le mélange d’instruments unique – oud, piano, accordéon – n’explique qu’en partie l’attrait du magnifique nouvel album d’Anouar Brahem. En effet, les morceaux qui constituent "Le pas du chat noir" sont nés dans des circonstances tout à fait singulières...
Après l’expérience intense et éprouvante qu’avait représenté l’enregistrement de "Thimar ", l’album "transculturel" conçu avec John Surman et Dave Holland en 1997, dans lequel l’improvisation jazzistique était mêlée aux modes de la musique arabe, Brahem s’est retrouvé, pour la première fois de sa vie, peu disposé à jouer de l’oud. 

"J’ai arrêté d’en jouer pendant assez longtemps, raconte-t-il. Mais c’était important de rester connecté à la musique. Je n'ai donc pas arrêté d’en écouter, ni d’en écrire. Ayant un piano dans mon atelier de Tunis, je me suis mis à composer." Il s’était souvent servi de cet instrument pour écrire des musiques de film, par exemple. "Le son de l’oud a un caractère spécifiquement arabe. Le piano m’apporte une autre sonorité, que j’aime beaucoup et qui est dépourvue de ces associations. Je ne suis pas un vrai pianiste, mais j’utilise l’instrument comme un stylo – pour écrire de la musique modale. Alors, petit à petit, des thèmes et des mélodies se sont mis en place et je me suis rendu compte qu’il y avait une sorte d’unité dans tout ça, mais je n’avais aucun projet précis."

Il a joué quelques-unes de ces ébauches à Manfred Eicher, qui l’a encouragé à développer ses créations pour le piano. Mais il a fallu plus de deux ans pour qu’elles prennent leur forme actuelle, que deux musiciens en deviennent partie intégrante et que l’oud y retrouve sa place.
Comme pianiste, François Couturier, qui avait travaillé avec Anouar Brahem sur plusieurs projets depuis 1985, s’est imposé comme une évidence. « En jouant les mélodies, raconte Brahem, je chantais parfois avec le piano et j’ai compris que j’avais besoin d’un autre son, plus linéaire, pour soutenir le tout. » Il a envisagé le violoncelle pendant un moment, puis a repensé au travail de l’accordéoniste Jean-Louis Matinier, qu’il avait rencontré en studio dix ans plus tôt. Il avait suivi ses contributions aux disques de Gianluigi Trovesi et de Renaud Garcia-Fons. La texture sonore de l’accordéon joue un rôle important, mais Jean-Louis a surtout compris quelle était la place que son instrument devait prendre : il n’a pas essayé d’en faire plus que ce que la musique demandait et c’est sa discrétion qui a donné de la force à l’ensemble. Pour Brahem, Matinier "porte le chant intrinsèque de cette musique."

Malgré leur immense expérience, Couturier et Matinier ont trouvé les "chants silencieux" du "Pas du Chat Noir", sobres et clairs, difficiles à jouer.

"Cette musique a été écrite avec beaucoup de précision et il est important d’en respecter toutes les indications de tempo et tous les pianissimos, mais, en même temps, l’interprétation demande de la sensibilité et il faut jouer comme si on improvisait, ce qui exige beaucoup de concentration. Vu la souplesse des tempos – parfois accelerando, parfois rallentando –, il faut constamment penser à maintenir la tension interne."

Dans cette musique aérée, les tons non joués sont aussi d’une importance capitale. "J’ai dit à François de bien comprendre que le son harmonique comptait parfois plus que le ton. La réverbération de l’harmonique après les notes joue un grand rôle dans cette musique. Les sons harmoniques du piano, dans ce contexte, me rappellent un peu ceux du santour [une cithare à marteaux] dans la musique iranienne...
"Manfred a trouvé l’endroit parfait pour l’enregistrement [le studio de Radio DRS, à Zurich] avec un excellent piano et une superbe acoustique. Ça nous a beaucoup aidés, de pouvoir enregistrer sans casques. Nous avons pris notre temps et n’avons fait le mixage que quelques mois plus tard – c’était fondamental aussi, de trouver le juste équilibre entre les instruments. Ensuite, il nous a fallu un long moment pour déterminer l’ordre des morceaux. Tout cela a été un travail approfondi, par étapes."

A quelle catégorie cette musique appartient-elle ? Au sein de l’œuvre de Brahem, c’est à "Barzakh" et au "Conte de l'incroyable amour" qu’elle ressemble le plus, sur le plan de l’atmosphère, tout en étant très différente. Ceux qui l’ont déjà écoutée lui ont trouvé des similitudes avec les créations de Satie, Ravel, Debussy, Mompou et même avec la douceur de "Spiegel im Spiegel" et de "Für Alina" d’Arvo Pärt." Je ne connais pas assez le répertoire pianistique européen pour y avoir fait sciemment référence, dit Brahem. Mais je me rappelle avoir été très touché par des œuvres de Satie que j’ai entendues il y a environ une dizaine d’années. Elles ne semblaient ni occidentales, ni orientales, ni liées à une époque précise. Elles m’ont vraiment atteint. Et après avoir composé quelques thèmes, j’ai pensé qu’il y avait peut-être un rapport..."
Brahem espère que son album ne sera pas relégué dans les colonnes ou les listes de "world music" : "Je suis de plus en plus irrité par ce terme. Ce n'est pas un mouvement, ni une esthétique, ce n'est rien de plus qu’une étiquette de vente pour les magasins occidentaux, qui mélangent toutes sortes de musiques qui n’ont rien à voir entre elles. Pour moi, c’est exactement comme si on entrait dans une boutique en Egypte et qu’on y trouvait Boulez, Keith Jarrett et Britney Spears commercialisés sous le nom de ‘musique du monde’. L’une des choses qui font que j’aime être chez ECM, c’est que je n’ai jamais été traité comme une annexe exotique du catalogue. Je fais mon propre style de musique contemporaine dans un label de musique contemporaine."

Réactions de la presse

Dramatiques, sereines, légères, profondes... Il est difficile de qualifier les atmosphères qui s'en dégagent. En un mot, voilà une musique pleine, qui n'a pas peur du vide, du quasi-silence, où la note juste est conservée, sans excès de minimalisme étriqué. [...] Sans jamais perdre la direction qu'il s'est choisie, ce disque réaffirme le plaisir et sa sensualité de ce musicien expert, son goût pour la formule du trio, format qu'il creuse en renouvelant constamment l'instrumentation.

Jazzman (Choc Jazzman)
Jaques Denis

Arabische, maghrebinische oder gar Weltmusik - derlei Schubladen waren für den tunesischen Oudvirtuosen Anouar Brahem von jeher zu eng. Bestes Beispiel: das Trioalbum Thimar mit John Surman und Dave Holland. Jetzt hat er mit dem französischen Pianisten François Couturier und dem Akkordeonspieler Jean-Louis Matinier ein noch weitaus ungewöhnlicher instrumentiertes Trio zusammengestellt. Die Stücke entwickelte er am Klavier. Erst viel später fand sein eigentliches Instrument, die arabische Laute Oud, ihren Platz in dieser sparsamen Kammermusik voller Stille, Poesie und atmosphärischer Nähe zu Erik Satie, in der das Akkordeon gleichsam die Rolle einer "inneren Stimme" übernimmt. Grandios.

Fono Forum
Berthold Klostermann

The album is at once an extension and an audacious departure from the tradition of the oud. Despite his formidable knowledge of the maqarnat, an ornate system of modes that anchors Arabic music, he seldom bases his improvisations directly on the maqams. His phrasing is pure and uncluttered, expressing itself through silence nearly as often as sound. [...] Composed of elegantly flowing lines and somber, breathlike silences, the music shimmers with the overtones of the piano. [...] Mr. Brahem bases several of the tunes on spare, broken chords, repeated in the childlike manner of Satie. Simple though they are, however, they contain beguiling Arabesques. The three musicians rarely appear at once, performing as a trio on only seven of the album's 12 tracks. For the most part, you hear duets - piano and oud, oud and accordion, accordion and oud. The musicians often double each other's lines, but seldom in unison, which enhances the music's intimacy while producing a floating, echo effect.If every band projects "an image of coummunity," as the critic Greil Marcus once suggested, then Mr. Brahem's trio - part takht, part jazz trio, part chamber ensemble - evokes a kind of 21st century Andalusia, in which European and Arab sensibilities have merged so profoundly that the borders between them have dissolved. The image may be utopian, but its beauty is undeniable.

The New York Times
Adam Shatz

The album is like a sad rhapsody, full of shadowy mirages and blue echoes, the prevailing melancholy not dour and heavy but rather light and cloudy. Names like Satie, Debussy, Mounir Bachir, even Eno in acoustic mode keep flashing across your mental screen as you listen. This is academy music with no clothes on, naked and awkward, honest and beautiful. Shut your eyes and you could be in the port of Dar el Baida, a seagull swooping over a grey-blue sea and huge cranes and rusty hulled freighters in the background, the light and forgetful breeze brushing your cheek. Le pas du chat noir features uncontrived performances of cat-like agility - soft, bright-eyed and magical. It is a brilliant piece of work.

Songlines
Andy Morgan

Who would have thought that the supremely subtle oud could be featured on a recording with piano, that most dominantly Western of instruments' Meticulously arranged and ideally, gorgeously recorded, Le pas du chat noir features Tunisian oud virtuoso/composer Anouar Brahem in a fresh setting conceived at the keyboard and then realized with pianist François Couturier and accordionist Jean-Louis Matinier. The result is as redolent of the French minimalism of Satie and, even more so, his Catalan successor Mompou as it is of traditional Arabic music. There is a hushed, highly concentrated quality to this Pan-Mediterranean musical "haiku", with the notes purified down to their absolute essence. The entire package-music, sound, cover design - is ECM at its best. As much as any of the label's "crossover" hits, this album brims with appeal for all who have an ear for the best in music.

BillBoard
Bradley Bambarger

A record of astonishing harmonic richness, Le pas du chat noir attests to Brahem's unexpected devotion to the piano as a compositional tool and forces some retrospective recognition of how classically pianistic a lot of his music has been down the years. The oud here takes its place in a rich and constantly shifting context, with the two keyed instruments creating contrasting textures and environments for Brahem's gorgeous melody lines. [...] This is a consistently rewarding and very surprising record. Ask me a year from now and I'll be finding new things in it.

Jazzreview
Brian Morton

Diese stille, anrührende Musik lebt von wechselnden Dialogen, die arabische Gelassenheit in rhythmischer Vertracktheit mit europäischer Kammermusik von Bach bis zur Klassischen Moderne in Einklang bringen. Jean-Louis Matinier zieht die Klänge seines Akkordeons mit einer bittersüßen, vibrierenden Eleganz; Klänge, die in ihrer reduzierten Intensität wie ferne Schwingungen des innersten Wesens französischer Muzettes wirken. Dazwischen weben sich die Töne der Oud, die zart von François Couturier am Flügel aufgegriffen und mit sutiler Raffinesse verdoppelt werden. Intime Zwiegespräche entwickln sich, eine einsam schwingende Klaviersaite ruft ein Echo auf der Oud hervor, es entsteht ein Frage-und-Antwort-Spiel von geradezu hypnotischer Kraft.

Stereoplay
Sven Thielmann

Distinctions

ƒƒƒƒ, "Télérama" (France) 
Recommandé, "Classica" (France) 
Choc, "Jazzman" (France) 
Top of the World / Choix de l'éditeur, "Songlines" (Royaume-Uni) 
Die Audiophile, "Stereoplay" (Allemagne) 
Choix des critiques, "Jazz Zeitung" (Allemagne) 
Choix du mois, "BBC Music Magazine" (Royaume-Uni) 
Cinq albums essentiels de 2002, "Jazziz Magazine" (États-Unis)

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